“On est plus le fils de son époque que le fils de son père”
DICTON AFRICAIN
Monsieur le Ministre de la Justice et des Droits de l’homme, garde des sceaux, Monsieur le Président de la Cour d’Appel,
Messieurs les Conseillers,
Monsieur le Procureur Général de la Cour d’Appel,
Monsieur le Directeur de l’Institut National de Formation Judiciaire, Chers confrères, chères consœurs,
Chers membres de la grande famille judiciaire,
Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis de porter la voix du Barreau du Mali au cours de cette audience solennelle.
Chers auditeurs, vous êtes les fils de votre époque ! Une époque tourmentée, énigmatique et remplie de défis.
Nos peuples traversent une période difficile de leurs histoires et vous êtes la relève, vous incarnez l’espoir d’un futur meilleur.
En prélude au serment des magistrats et conformément à la loi du 16 décembre 2002 portant statut de la magistrature, vous allez jurer devant cette cour « de garder religieusement le secret professionnel et de vous conduire en dignes et loyaux auditeurs de justice »
Par ce serment, vous prenez un engagement vis-a-vis du peuple, vis-a-vis de vos pairs mais aussi et surtout vis-a-vis de vous-même et de votre conscience.
LE BATONNIER Maître Ousmane Bouba TRAORE; Représenté par Maître Lalla GAKOU
Ensuite, comprenez qu’avec cette tenue, vous portez sur vos épaules le poids de la justice, rappelez-vous donc de toujours rester humbles, parce que la grandeur d’un homme est dans l’ancrage de ses racines au sol, dans l’humilité.
Au cours de ces deux années à l’Institut National de Formation Judiciaire, il est attendu de vous que vous acquériez une culture judiciaire, que vous soyez formés au métier de magistrat pour qu’in fine vous preniez des décisions conformes à la loi, respectueuse de l’humain ainsi que des regles ethiques et deontologiques.
A l’issue de la formation, au-delà d’un savoir, on attendra de vous un savoir-faire et un savoir être, pour une application de la loi avec discernement et sens de l’équité.
Vous allez rejoindre un corps dont la Constitution (art.133) garantit l’indépendance mais qui doit aussi rendre compte de ses actions.
Être magistrat, plus que l’exercice d’une profession, est une mission de service public, un sacerdoce.
C’est être en permanence au cœur de la vie des hommes, être garant des libertés individuelles et protecteur des plus vulnérables.
C’est en cela que Joseph Joubert disait que « la justice est le droit du plus faible »
Juger est une lourde tâche, c’est exercer une mission divine sur terre.
Le corollaire de cette lourde tâche, c’est la responsabilité et le renoncement ! Renoncez à l’envie, restez dignes face à la tentation du gain démérite, prenez de la hauteur sur la cupidité.
Ne vous salissez pas les mains avec des avoirs inappropriés car vos décisions en seront tout aussi sordides et votre conscience salie.
Pour reprendre les termes d’un confrère sous d’autres cieux, on entre dans la magistrature un peu comme on entre dans une religion, par vocation.
L’Éternel préfère le respect dû à l’exemple plus qu’à celui dû à la crainte, disait le Batonnier Ousmane Bouba TRAORE lors d’une autre audience solennelle.
L’existence même est basée sur le serment.
Serment d’allégeance, profession de foi islamique, baptême biblique, serment de purification, serment d’abjuration juive ou serment d’Hypocrate …
Tout est serment !
Le serment est une Attestation Dei, une attestation au nom de Dieu. Il a un caractère religieux quoique la mention de la divinité ne fut pas faite.
Le fait de lever la main est un geste puissant, Dieu est pris à témoin.
Dieu Lui-même a fait le serment au prophète Abraham, de bénir sa famille, de rendre son nom et de faire de lui une bénédiction. Cette promesse divine a été tenue pour montrer aux mortels la sacralité du serment.
Aujourd’hui encore, les musulmans prient sur Ibrahim (psl) et sa famille.
Le prophète Jésus, face aux nombreux parjures des juifs, a préconisé une utilisation moins fréquente du serment en recommandant de ne jurer ni par le ciel ni par la terre.
Dans la mythologie grecque, Horkos fils d’Éris (déesse de la discorde) est la personnification du malheur qui s’abat sur quiconque ne respecte pas son serment, en commettant un parjure.
La charte de Kurukan Fuga (art. 23) prescrit aux hommes de ne jamais se trahir et de respecter la parole d’honneur.
La justice obéit donc a un principe de sacralite que M.Mauss expliquait par ses origines liées a l’émoi, l’indignation et la terreur ressentis face à la transgression d’une loi sacrée ou divine.
Cette sacralité est matérialisée par l’enceinte, le décorum du palais et la robe des magistrats.
Chers auditeurs, votre serment vous oblige !
Il vous oblige à la compétence et au doute. Doutez toujours, méfiez-vous des certitudes, le diable y est souvent caché.
Vous intégrez la profession a un moment ou le système judiciaire est remis en cause, ou le citoyen n’a pas confiance en sa justice.
Il vous appartiendra de redorer les blasons, de donner belle allure à la silhouette de la dame Justicia.
La judiciarisation de notre société ces derniers temps témoigne d’un besoin permanent de justice .
Dans un monde où la morale est en déclin, le recours au juge se renforce.
Ainsi à chaque coupure d’électricité, on pense préjudice, réparation, injustice…
On ne maudit plus le sort, on porte plainte, à charge pour la justice de confondre les responsables.
Parfois il sera attendu de vous des miracles, chacun s’estimant titulaire d’un nouveau droit, celui de ne pas avoir tort.
La justice a besoin de vous, bousculez-la, améliorez-la au rythme de votre jeunesse et de votre enthousiasme.
A l’inverse de l’allégorie de la justice qui a les yeux bandés, gardez bien les yeux ouverts sur toutes les vertus qui œuvrent à l’administration d’une justice saine.
Une justice saine procède aussi d’une relation cordiale entre magistrats et avocats au prétoire, les uns n’étant pas les ennemis des autres. Souvenez-vous en toujours !
Chers auditeurs,
Cette prestation de serment est l’aboutissement d’un dur labeur, c’est le début d’une histoire, celle qui vous lie à l’Etat et à la justice.
Monsieur le Président,
Au regard de ce qui précède, je sollicite qu’il vous plaise,
– Donner à Madame le Greffier en chef, acte de la lecture des arrêtés de nomination des auditeurs appelés à prêter serment ;
– Donner acte au Procureur Général de ses réquisitions ;
– Me donner acte de mon intervention ;
– Recevoir des récipiendaires, leur donner acte de leur serment et les renvoyer à l’exercice de leur profession ;
– Dire que du tout, il sera dressé un procès-verbal classe au rang des minutes
du Greffe de céans pour y recourir en cas de besoin. Je vous remercie !
Bamako, le 19 mars 2024
LE BATONNIER Maître Ousmane Bouba TRAORE
Représenté par Maître Lalla GAKOU